Bonne année !

 

 

 

Nuit douce et bleutée, lune en déshabillé gris, rues

 

désertes, quartier tranquille, maison bien tenue, art déco

 

aux moyens du bord, soirée convenue de cons venus,

 

d’autres moins, amis dilués, inconnus bruyants,

 

champagne conversation dans bulle salon, musique

 

festive pour faire danser l'ennui de la solitude, seule ou en

 

couple, quelques verres pour le courage, les heures

 

passent à la brasse, bon, allez, temps de l’action directe...

 

Putsch sur la chaîne, DJ d’un soir, pas trop le choix,

 

musique limitée, faire avec, faire danser, bouger un pied,

 

une oreille, faire connaître, transmettre, ah, éducation

 

populaire, quand tu nous tiens, jamais de répit, la lutte

 

est continue, lutte des classes, bien sûr, démocratisation

 

culturelle, politisation des consciences, merde à la

 

connerie humaine, oui, même le jour de l’an, emmerder

 

en chantant, pourquoi pardonner ce qui va se perpétuer ?

 

Résolutions à la con, les années passent, rien ne change,

 

sauf les apparences, tout comme les rentrées de

 

septembre, faut être beaux et bronzés, reposés, pleins de

 

photos à raconter, pauvres vies sans questionnements,

 

esbroufes de paons, paraître en disparaissant, échanges

 

dans le vide, écoutez-vous parler, regardez-vous voir,

 

sentez-vous ce rien en vous ?

 

Éteindre la lumière ou monter le volume ?, anonymes

 

amis, futurs ennemis, cessez de vous habiller de mots et

 

de politesse, le civisme conduit souvent à l’hypocrisie, à

 

poil tout le monde ! et les femmes d’abord, belles sur leur

 

Haute-Garonne, jambes tendues, gainées de nylon ou

 

parfois de soie, fesses emballées de fête, poitrines encore en

 

l’an qui est, d’autres déjà en l’an prochain, mystère de l’espace-

 

temps, lèvres saignantes, bouches

 

riantes, langues chargées, bavardes, oreilles aux aguets,

 

yeux hypermobiles, cœurs boussolés, espoirs réduits en

 

vœux, femmes innombrables et singulières, femmes

 

couplées, indisponibles et pourtant… ce soir… un regard

 

rapide d’imaginaire sous des cils fébriles, femmes

 

indifférentes, trop belles contournées ou vaniteuses

 

éthérées, stupidité en taffetas déçoit, femmes juste

 

ordinaires, femmes du quotidien, bien à point, femmes

 

désirées ou pas, femmes de la dernière nuit… ou plutôt du

 

nouveau petit jour...

 

Et des hommes aussi, tous en sapes, jeunes requins bien

 

foutus, vieux crabes dodus, hommes virils au verbe haut

 

et au rire gras, souliers rock ou vernis, ongles

 

irréprochables ou mains sales, hommes aux comptes en

 

banques grassouillets, aux grosses cylindrées, hommes

 

quelconques, transparents, timides à l’existence

 

incertaine, à vélo, toto, boulot, dodo, bobo, bobonne,

 

hommes couplés depuis longtemps, accouplés de temps

 

en temps, hommes accompagnés au tarif de nuit, hommes

 

satisfaits ou déprimés, couples libérés… de leurs enfants, chez

 

les grands-parents, alors ma femme et moi on

 

prend du bon temps, (ah ouais, ensembles ?), hommes de

 

tous les maux, mot pour rire, pour impressionner, pour

 

ennuyer, mains cavalières, verve osée ou silences timides,

 

mais n’en pensant pas moins, hommes encore debout

 

pour certains, replets du dîner, vaguement pour d’autres,

 

vidés par vomissures discrètes, alcoolémie de la patrie, le

 

verre à boire est en danger, putain, un joint qui tourne, de

 

l’herbe, ça sent bon, souvenirs d’insouciances, où est ma

 

guitare ?, histoire de changer d’ambiance… Seventies…

 

All you need is love… love is all I need…

 

Mais le temps repasse en brasse coulée, voilà le moment

 

de partir, certains s’en vont, autant en profiter sans se

 

faire remarquer, oui, moi aussi suis fatigué, ai de la route,

 

non merci, vais y aller, là, c’était sympa (surtout ne pas

 

blesser), la musique ?, oui, merci, bah, j'ai fais ce que j'ai

 

pu, vous avez quelques bon cd... on se rappelle… bien sûr,

 

trop bu, oui, mais ça va aller, non vraiment, je préfère

 

rentrer, j’aime bien rouler la nuit, allez, bises, OK, à

 

bientôt… Ouf… Et, bonne année...

 

 

2011

 

 

Nature humaine

 

 

Beaucoup trop d'êtres humains voient la nature comme des paysages touristiques, ne sentent pas la nature puisque la plupart de ses odeurs ont été transformées et recrées dans des laboratoires, n'entendent pas la nature puisque le bruit urbain et industriel a pris le dessus, ne goûtent pas la nature car beaucoup de ce qu'ils mettent en bouche a été créé et modifié dans des laboratoires, ne touchent pas la nature si ce n'est pour la polluer en pratiquant du commerce, de l'industrie, des sports extrêmes et des loisirs consuméristes. Et la nature recycle... Jusqu'à quand ? L'espoir ne doit pas être un rêve ni une attente...

 

2000

 

 

 

APPARITIONS

 

 

Premier tableau

L’apparition. Enveloppée dans un paréo rouge transparent coincé sous ses aisselles et noué au-dessus de ses petits seins qui tendaient le tissu. Offrant ainsi le dénudé de ses épaules. De ses bras. De ses genoux et de ses mollets. Un léger bronzage exotisait discrètement sa peau. Elle était belle. Luisante. Désirable. Ses petits seins élastiques précédaient son ventre légèrement convexe et tressautaient à chacun de ses pas. Ses enjambées écartaient les pans du paréo. Dévoilant ses cuisses fuselées tout en muscles qui vibraient sous la pression de l’énergie vitale. Soudain le museau d’une blanche culotte en coton. Soit l’immaculée simplicité.

Disparition. Dans un halo de lumière. Ses fesses rondes comme la moitié d’une planète. Des pensées gravitaient autour. Se faufilaient jusqu’à son entrecuisse grâce à la transparence du paréo. Elles tournoyaient dans un espace à la fois obscur et lumineux. Poussières de fantasmes placés en orbite d’attente. Révélant enfin les raisons de l’expansion infinie de l’univers. L’avantage de voyager à la vitesse de la lumière ainsi que l’attraction fatale des trous noirs. De toutes parts s’échappait constamment de la matière qui se transformait continuellement pour devenir autre tout en préservant à chaque fois un peu d’elle-même. Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il n’existe plus une seule pensée humaine pour s’en rendre compte. Pour nommer cette alchimie et s’en enorgueillir.

Soupir d’humilité. Besoin irrépressible de catharsis. Se vider du monde dans le monde. Participer à la grande transformation perpétuelle. Rendre ce qui avait été donné. Inspiration constellée surgie directement du Big-bang. Qui avait traversé l’univers jusqu’à l’époque humaine pour permettre de déverser humblement sur une page vierge une sorte de fulgurance poétique. Un questionnement astronomique. Un principe de mécanique ondulatoire.

 

Deuxième tableau

Longues journées sans aucune autre apparition de matière. Sans éclat spirituel. Et voilà qu’au détour d’un jour… Elle se penchait en avant pour fouiller dans son panier posé au sol. Le fin tissu en lin laissait transparaître les coutures de sa culotte. Bonjour, joli petit cul. L’un des plus beaux sur cette ronde planète. Il siège parmi les six ou sept élus qui font tourner la tête. Á sculpter sur du marbre. Étincelles d’albâtre et rythme binaire. Musique martelée. Où bien l’écrire. Vagabondage sensuel du verbe luxurieux. Flâneries de mots érotiques. Promenades voluptueuses. Aventures de l’imaginaire charnel. Explorations de la langue hédoniste. Vadrouilles épicuriennes. Voix sexuée de l’origine du monde. Cri sidéral… Violence d’une porte brutalement refermée.

 

Troisième tableau

Fenêtre largement ouverte sur une pièce. Mais store baissé à moitié. Se résigner à ne voir que la moitié des choses de la vie. Table à repasser dépliée. Fer à vapeur chauffant sur sa centrale. Panier à linge débordant de vêtements froissés. Et juste le bas de son corps légèrement de biais. De sa taille à ses pieds nus. Son pantalon de toile blanche lui moulait délicatement les fesses. Ses mains agiles étendaient et pliaient les tissus. Son bras énergique poussait et ramenait le fer qui glissait en un bruit imperceptible tout en lâchant quelques jets de vapeur. Quelle souplesse dans le poignet… Quelle puissance dans l’épaule… Et cette façon de se cambrer légèrement lorsqu’elle poursuivait le mouvement en allongeant le bras… Et ce jeu de jambes tout en nuances… La vision de ces jolis pieds nus froissant la moquette était d’un érotisme subtil…

Elle posa le fer et leva un bras comme pour s’essuyer le front. Elle se tourna. Offrant ainsi au regard son côté pile. Elle fit glisser son pantalon. Sa culotte blanche satinée luisait dans la pièce alors que le jour s’estompait. Blancheur d’un ciel d’hiver avant que ne tombe la neige et n’advienne le silence. Transports vers de nobles sommets majestueux.

Elle reprit son repassage. Se tournant régulièrement pour prendre un vêtement dans le panier à linge. Culotte tendue par le travail des muscles fessiers. Le textile se déformait en suivant les courbes de ce derrière qui méritait bien d’être devant. Tissu peu à peu avalé par le sourire de son cul. Détails de femme : hanches, cuisses, genoux, joujoux, mollets, chevilles, pieds, alouette… Musique fluide du fer à repasser glissant sur les étoffes et rythmé largo par quelques jets de vapeur. Petite main donnant la mesure. Petite culotte contenant la partition enchantée.

Applaudissements.

Rideau.

 

2003

 

 

L’art contemporain

 

 

L’art contemporain est un prétexte culturel de riches prédateurs afin de briller aux yeux de leurs serviteurs et des autres dominés envieux de s’élever culturellement vers un épanouissement légitime. Ces classes dominantes imposent une esthétique formatée pour la vente spéculative avec la complicité des médias aux ordres, d'un marché cupide et sous la protection, voire l'encouragement, du Ministère de la Culture. Cet art est une marchandise, et le nom de l’artiste une marque industrielle favorisant l’exonération fiscale.

 

2000

 

 

 

Les applications numériques

 

 

Les injonctions à utiliser les nouvelles technologies de l’information, de la communication et de l’apprentissage nous obligent à créer des comptes à chacune de nos plongées numériques afin d'accéder "gratuitement" à l'utilisation de ces technologies, décliner noms ou pseudos, mots de passe (que l’on nous conseille de renouveler sans cesse), e-adresses variées pour protéger notre vie privée, bref, il faut être en possession d'un carnet, pardon, d'un smartphone pour se souvenir de tout ça et faire confiance aux clouds soumis aux courants financiers et aux mauvais vents du hacking. Sans compter les inégalités technologiques que cela génère. Internet devrait être un service public accessible à tous, et gratuit…

 

2020

 

 

 

La paresse

 

 

Dès l'âge de dix ans, je savais déjà ce que je voulais faire dans la vie : rien. Ce désir se renforçait avec l'âge et les demandes répétées de mon entourage qui s'inquiétait de savoir ce que je voudrais faire quand je serai plus grand. Mais vers 13 ans, je compris que je ne pouvais plus leur répondre "rien", car ça ne les faisait plus rire, et je devinais que cela me faisait passer pour un paresseux et que la société n'aime pas les fainéants…

 

2000

 

 

 

Le fétichisme de l’objet technologique

 

 

Les séductions publicitaires et les injonctions technologiques conduisent les gens à acheter les objets les plus inutiles, simplement pour paraître dans l’air du temps de la paresse et se conformer à la norme capitaliste imposée, et pour lesquels certains s’endettent au risque de tout perdre, et notamment la possibilité d'acquérir les objets utiles.

 

2010

 

 

 

Libération périscolaire

 

 

Ce soir du 2 novembre 2018, aux alentours de 18h45, j'ai traversé cette cour silencieuse et quasi obscure que j'ai tant arpenté avec enthousiasme depuis dix longues années dans tous les sens, cette cour bruyante et bondée, cette cour de récré, cour à la criée, cette cour où j'ai tant joué à quatre pattes ou en courant, cette cour où j'ai animé des âmes d'enfants insouciants et pléonasmes, cette cour au cœur de laquelle je veillais à la sécurité physique, morale et affective de ces enfants âgés de 6 à 10 ans, ce soir j'ai traversé le préau rectangulaire à poteaux donneurs de coups de boule, préau dangereusement concentré de jus d'énergie les jours de grande pluie, ce soir j'ai grimpé lentement les marches métalliques et percées qui ont été la cause de chutes d'enfants et d'adultes, ces marches que j'ai tant de fois grimpé quatre à quatre pour aller chercher dans le frigo “du froid à soulager les bobos", une feuille d'appel, un talkie-walkie, un stylo, des ballons, des plots, des cerceaux, ce soir j'ai grimpé tout là-haut dans les bureaux vides du centre de loisirs sans avoir à croiser certaines têtes qui ne me revenaient plus depuis quelques années déjà, des têtes pleines d'inculture mais sûres d'elles et fières de ce vide sidéral qui va continuer à les remplir jusqu'à leur mort, des têtes crétines non alpines, des têtes têtues, grandes gueules et esprit étroit, des têtes à signal dentaire hypocrite, des têtes pas même patibulaires, des têtes à claquettes parfois juvéniles, mais aussi des têtes de crustacés blindés, carapacées et institutionnalisées parmi de bonnes têtes à Bafa, ce soir, j'ai ouvert le bureau des tombereaux d'ignominies, d'emmerdements et d’infamies, le bureau de la récente hiérarchie parvenue et faussement déléguiste, sournoisement incompétente d’humanisme, venue pour faire le ménage sans ménager l’anima, ce soir, dans le tiroir du bureau de la dé-coordinatrice, je me suis libéré d’un jeu de clefs qui m'enfermaient plus qu'elles n'ouvraient vers les autres, d'un lourd et large smartphone débile qui me textotait régulièrement dessus sans aucune éducation littéraire et tentait régulièrement de me racoler au travail une fois à la maison, d'un ordinateur portable énergivore tueur de papier, technologies du futur si pesantes que ma vieille sacoche en cuir s'en est retrouvée allégée, j’ai également caressé une pensée paresseuse pour mon agenda de travail promis à de vaillantes pages blanches, tout comme mon petit carnet de notes fiévreuses et professionnelles et autres comptes rendus de mots institutionnalisés, anti-poétiques, ce soir j'ai également laissé dans ce tiroir un chéquier complice de tant de pollutions environnementales sous des prétextes éducatifs fallacieux, ce soir, suite à une rupture conventionnelle de mon contrat de travail indéterminé, j'ai enfin eu le courage de briser mes chaînes d’animal salarié socioculturel...

 

2018

 

 

 

 

Le gros jovial

 

 

Un homme mince car nerveux, la quarantaine car le temps le dépasse, célibataire endurci car les femmes restent un mystère douloureux, plutôt pessimiste car l’espoir de l’insouciance n’est plus que nostalgie, revenu de tout ce qui fait nature humaine et qui ne croit plus en rien car méfiant du tout technologique, ayant perdu le goût de rire et de s’amuser car solitaire après avoir fait le ménage au sein d’amitiés toxiques, n’attendant plus grand chose de la vie car trop exigent, malheureux car sentimental hyper-sensible, amer car ne sachant nager après avoir failli se noyer à plusieurs reprises, aigri car lucide, chômeur en quête du sens du travail… Cet homme qui soigne sa douleur avec de l’alcool, du chocolat noir, du fromage et du pain, grossi peu à peu et uniquement du ventre. Impuissant devant cette transformation, qui ne fait que l’enfoncer encore plus dans le désespoir, il déprime et commence à perdre le goût de vivre jusqu’au moment où il comprend qu’il ne peut plus revenir en arrière car son bidou dépasse toutes les frontières, qu’il est fatigué de geindre, qu’il n’a pas le courage de se suicider. Il décide alors d’assumer ce changement aux yeux des autres et de développer cette nouvelle nature jusqu’à devenir un gros jovial. Entrant dans la cinquantaine, il retrouve le sens de la vie sans lendemain, de la fête avec de nouveaux amis éphémères mais non virtuels, les femmes avec lesquelles il n’a plus du tout la même exigence esthétique se pressent désormais autour de lui pour recevoir cette joie de vive. Il trouve enfin une raison de continuer à vivre : assumer le fait d’être devenu un gros jovial. Il est sa propre création. Libre de tout modèle imposé par la société. Il est enfin heureux, même si parfois des larmes de nostalgie bercent certaines de ses nuits car il n’est pas devenu un sur-homme. Il n’est pas non plus un obèse, ni trop gras, juste gros, un petit gros… jovial.

 

2000